"La plupart des maîtres voudraient avoir des serviteurs qui eussent des pieds de cerf, des oreilles d'âne, des mains qui ne fussent pas poissées, la bouche cousue, et qui ne leur demandassent jamais Rien"
A Del.,
Ce livre est dédicacé à personne car à qui en effet à votre avis a-t-on plus d'obligations qu'à Personne ? Ne peut-on pas encore trouver en personne, tout ce qui peut former le mérite le plus complet ? "Qui voit-on aimer à faire du bien à tout le monde, jusque même à ses ennemis ? Personne." 
Etre le serviteur de Personne... N'est-ce pas louable, enviable ? Notre auteur, tout anonyme qu'il fut, n'est pas le premier, à s'exercer à cette forme. D'illustres auteurs s'attelaient à l'art de l'éloge, "Virgile, le prince des poètes latins, en a fait sur le moucheron." Se lancer dans cette entreprise, faire un discours sur Rien vaut mieux qu'en faire un sur une oeuvre ratée... Discourir sur Rien vaut mieux que des raisonnements creux sur la politique. Il permet de dire tout le mal qu'on pense de certains auteurs sans presque Rien dire. Rien, comme la divinité : antérieure à la dite divinité ; comme elle, immuable et indivisible. Nous même, ne sommes nous pas fait de Rien. N'avez vous pas remarqué que souvent : "Rien savoir nous paraît quelque chose, et quelque chose nous paraît Rien." Rien, n'est-il pas une valeur suprême et cela dans toutes les langues : "Qu'avons-nous de plus plaisant en Espagne que le Don Quichotte de Cervantes ? Rien." Ne fabrique-t-on pas sans cesse ce genre de devise : César ou rien..."Bien des choses sont partis de Rien ou n'ont abouti à Rien." "Le pouvoir de Rien est extraordinaire : un Rien nous fait pleurer... Un Rien brouille un ami avec son ami..." Ne vous interroge-t-il pas sur les fondements de bien des choses : "Dans la cour des princes on compte pour Rien la franchise, la candeur et la bonne foi." 
N'est-ce pas l'essence de la sagesse ? N'est-il pas plus noble en amitié de servir et de faire plaisir sans leur demander Rien ? Il fallait faire l'"Eloge de rien"... N'est-on pas plus téméraire quand on a plus Rien comme le dit le poète : "Lorsqu'on a plus Rien il faut tout hasarder." Malheureux toujours de savoir modérer notre langue et nos appétits divers, ne serions nous pas plus heureux à tout le temps suivre cette maxime : Rien de trop... C'est encore Allia qui pour un prix modique, trois euros, Rien, nous propose cette lecture étonnante, une quarantaine de pages, Rien, un exercice virtuose de logique, une forme classique au service de Rien, un exercice de style parodique fascinant qui dit tout sur Rien. Paru à Paris en 1730, l'original habite aujourd'hui la bibliothèque Carnegie.